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anthropologie

Culture et Civilisation

20 Mars 2018 , Rédigé par intelligentsia.tn Publié dans #anthropologie

Jacques Ardoino

Cultures et civilisations

Table des matières

Les sens communs

Les acceptions scientifiques

Psychologie sociale et psychosociologie

L’anthropologie structurale

Les critiques et la relativisation du « relativisme culturel »

La culture en tant que dialectique du social et des personnes

Texte intégral

Tantôt employées au singulier, tantôt au pluriel (ce dernier souvent associé à leur représentation plus singulière [Michel de Certeau, 1969]), ces deux notions vont prendre une place très importante au sein des sciences humaines et sociales, notamment dans les champs intimement liés de l’anthropologie et de l’ethnologie (sans préjudice des rapports, encore étroits mais déjà plus distants, avec la linguistique, l’histoire, le Droit, l’économie, la sociologie, la psychologie sociale, la psychanalyse, la psychologie, la philosophie, les sciences politiques…), au cours des trois derniers siècles pour la pensée occidentale (plus particulièrement à partir de la seconde moitié du dix-neuvième et tout au long du vingtième).

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En dépit, ou, peut être en raison, de leur équivocité tenace, comme tant d’autres (ainsi « l’institution » excommuniée par Georges Gurvitch [1950]  !!) elles continueront d’y jouer un rôle éminent à la faveur des courants dits « culturalistes ». On les confondra parfois, jusqu’à les prendre pour synonymes, mais nous pensons devoir insister, d’emblée, sur leurs nuances respectives subsistantes, pouvant aboutir à des postures épistémologiques très fondamentalement opposées, voire hétérogènes [Jacques Ardoino et André de Peretti, 1998 ; cf. également, Léo Frobenius, 1936 et 1940]. Elles joueront, de surcroît, un rôle politique dans certaines conjonctures internationales.

Les sens communs

Dans la langue française [Nouveau dictionnaire étymologique, 1964 et Etymologies du français, 1996], le mot culture (1262) dérive du latin cultura, issu de colere (plus anciennement quolere) : tourner en rond, travailler régulièrement, assidûment, cultiver, soigner, habiter (les suffixes français « cole » ou « culteur », agricole, agriculteur, mais aussi bien pisciculteur ou puériculteur…, en découleront). Le sens commun au travail agricole et au commerce, singulier et collectif, de l’esprit cultivé, voire à l’ascèse d’un culte, est celui d’une durée consentie, vécue, vivante, autrement dit d’une « patience », impliquant l’action de retravailler sans cesse : la terre, des matériaux, des données, avec efforts et assiduité, en vue de leur accroissement qualitatif, trop souvent dégradé en quantitatif. De leur côté aussi bien que « civiliser », « civilité » ou « incivilité »…, civilisation (1784)  désigne l’ensemble des traits caractérisant une société donnée, située dans le temps et dans l’espace, et provient de civis : citoyen. Comme pour la culture, l’intention et l’action de civilisation s’opposent à l’état supposé antérieur de nature [E. Morin, 1973 et S. Moscovici, 1972], mais, ici, plus précisément encore, à la sauvagerie, à la barbarie, au proto-développement. C’est, au fond, le pari idéologique d’un humanisme rationaliste, héritier de la philosophie des lumières, qui entend fonder ainsi l’évolution et le progrès humains.

Plus qu’un temps-durée vécu, l’idée de civilisation occupe un espace ou un intervalle de temps (chronologique), ce qui n’est pas du tout la même chose. En cela, elle est avant tout territoriale jusqu’à concevoir des périodes, des époques, des « moments » [Jacques Ardoino, 2001] de l’histoire inscrits dans un temps désormais « réifié » [Joseph Gabel, 1962]. Nous le verrons, plus loin, les acceptions plus spécialisées, plus techniques, des termes culture et civilisation creuseront davantage une telle opposition. A y regarder de plus près encore, pour l’instant, l’idée de civilisation, longtemps préférée en France, nous apparaît plus architecturale (il y a ainsi des « jardins à la française » et des personnages de tragédie taillésmore geometrico, à l’opposé du théâtre shakespearien), plus linéaire, plus construite, plus volontariste, celle de culture restant plus holistique, plus élaborée, jusqu’à l’idée de perlaboration empruntée aux psychanalystes, laissant une place beaucoup plus considérable au jeu de processus inconscients, temporels et historiques. Dans tous les cas, la relation, réciproque ou plus unilatérale, l’interdépendance, entre la vie psychique des personnes, des individus, des sujets, et les effets propres des influences et des déterminismes sociaux est soulignée. Du fait même de ces cadres et découpages spatio-temporels, la (les) civilisation(s) semble(nt) s’imposer plus objectivement à nous, tandis que la (les) culture(s) se donne(nt) toujours à lire de façon plus « intersubjective » [cf. pour cette notion Magali Uhl, 2002], plus profonde, peut être plus opaque. Je parlerais sans peine de la « trajectoire » d’une civilisation, mais il me faudra plutôt évoquer le « cheminement » plus capricieux d’une culture.

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Si des « modèles » sont bien impliqués par l’une comme par l’autre, ce ne sont pas du tout les mêmes. On « baigne » dans une civilisation, on appartient à une civilisation qui nous englobe ; la culture nous habite, nous inspire et nous structure jusqu’à constituer un style. Son association fréquente avec de proches parentes, la « tradition » (au double sens du terme), les coutumes, souligne encore les rôles spécifiques du temps-durée et de la mémoire dans leur compréhension. La culture se transmet, certes lentement, mais à des échelles de temps, largement moindres que celles d’une évolution cosmique ou génétique. Le processus reste toutefois, ici, généalogique plus qu’héréditaire. Schématiquement, la nature est donnée, la culture est acquise, mais pour l’individu qui finalement les agit l’une et l’autre plus ou moins inconsciemment, celle-ci est une seconde donnée. Autre caractéristique majeure, ces termes sont, à l’évidence, chargés de valeurs, axiologiques. Bien entendu, les mots évolueront, quant à leurs significations comme à leurs emplois, au fil du temps. On parlera facilement, ainsi, aux époques moderne et, plus encore, « post moderne », de micro-cultures (les « tribus » de Michel Maffesoli) ou de sous-cultures, voire de contre-cultures (celles, parfois captives et consuméristes, des minorités, des intelligentsia, des « élites », des déviants, des enfants, des personnes âgées, des femmes, des gangs, des entreprises…). L’anglo-saxon culture et l’allemand Kultur présentent des nuances importantes par rapport au français, en raison, précisément, de leurs cultures propres. En témoignent, entre autres débats (les modèles opposés de Jacob Burckhardt, Considérations sur l’histoire universelle, et de François Guizot, Civilisation européenne, notamment), ces lignes fortes de Thomas Mann, en septembre 1914, ponctuant l’antagonisme de la culture allemande et de la civilisation française dans la Neue Rundschau : « Civilisation et culture, expliquait-il, sont des contraires, ils constituent l’une des diverses manifestations de l’éternelle contrariété cosmique et du jeu opposé de l’Esprit et de la nature. Personne ne contestera que le Mexique au temps de sa découverte possédait une culture, mais personne ne prétendra qu’il était alors civilisé. La culture n’est assurément pas l’opposé de la barbarie. Bien souvent, elle n’est au contraire qu’une sauvagerie d’un grand style – et parmi les peuples de l’Antiquité, les seuls, peut-être, qui fussent civilisés étaient les Chinois…/…La culture peut inclure des oracles, la magie, la pédérastie, des sacrifices humains, des cultes orgiastiques, l’inquisition, des autodafés, des danses rituelles, de la sorcellerie, et toute espèce de cruauté. La civilisation, de son côté, est raison, lumières, douceur, décence, scepticisme, détente, Esprit (Geist).»[cité par Pierre Kaufmann in Encyclopédia universalis, 2002]. On ne saurait adhérer sans réserves aujourd’hui à une telle diatribe. Nous l’avons mentionnée justement parce qu’elle ne peut s’entendre que dans le contexte et les cultures nationales, de son époque à laquelle elle reste indexicalisée.

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Quant au langage trivial, quelques autres acceptions peuvent encore être retenues relativement distinctes des précédentes : la « culture physique » en tant qu’entraînement et exaltation individuels ou (et) collectifs des capacités corporelles et sportives ; la « culture » dans sa forme plus esthétique, au niveau des activités culturelles populaires, ou de celles des élites des arts, de la musique (jusqu’à La distinction de Pierre Bourdieu) ; la « culture cultivée » de « l’honnête homme », enfin, qui, disait-on, subsiste en nous au delà de l’oubli des acquis, des apprentissages, et des fruits de l’expérience personnelle ; plus banalement encore, la culture générale scolaire. Chacune d’entre elles, notons le, s’ordonne, plus ou moins, à la qualité, au dépassement de soi, aux records, aux performances, à des pôles d’excellence, aux chefs d’œuvre, aux raffinements. Mais il y aura, évidemment, des cultures plus factices, plus brillantes, mondaines, « de cour », et des cultures plus authentiquement intellectuelles et spirituelles. Dans la suite de cet article, nous nous limiterons aux sens techniques et scientifiques, anthropologiques, ethnologiques et psychosociaux, notamment privilégiés par les approches culturalistes dans les sciences humaines et sociales.

Les acceptions scientifiques

Avant de se voir concéder le statut de concept scientifique, la notion oscille, du moyen age au dix-neuvième siècle entre l’état de la culture cultivée et l’action de cultiver le sol, puis, de façon figurée, l’esprit (fin du dix-septième siècle). Le Dictionnaire de l’Académie (1798) en fait mention comme trait distinctif de l’espèce humaine (éducation, instruction) à partir de la distinction, fondamentale pour la philosophie des Lumières, entre nature et culture [E. Morin, 1973 et S. Moscovici, 1972]. Nous l’avons vu, les relations franco-allemandes, entre 1870 et 1918 attiseront un débat plus sémantique et politique intéressant les idées de culture (Kultur) et de civilisation. Ce débat s’affirmera d’ailleurs archétypique de deux conceptions concurrentes de la culture qui persisteront par la suite, l’une plus universaliste, l’autre plus particulariste. L’émergence de la sociologie et de l’ethnologie, en tant que disciplines scientifiques, à la fin du dix neuvième siècle, donnera ses premiers titres de noblesse au concept de culture, mais à l’étranger. Deux  anthropologues, respectivement britannique et allemand, Edward Burnett Tylor et Franz Boas (ce dernier naturalisé américain par la suite), l’un de conception universaliste, l’autre plus particulariste, contribueront très largement à de premiers éléments de définition qui deviendront ensuite littéralement « canoniques » : « Culture ou civilisation, pris dans son sens ethnologique le plus étendu, est ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société » (E. B. Tylor, 1871, p. 1 ; études de terrain au Brésil). Franz Boas (1858-1942 ; études de terrain chez les esquimaux, les indiens de la Colombie britannique, les Kwakiutl, les Chinook et les Tsimshian), pour sa part, peut être considéré comme le précurseur, si ce n’est l’inventeur, de l’ethnographie. C’est un chercheur de terrain. Il s’oppose à Tylor tout en retenant la définition de la culture proposée par celui-ci. Tous deux combattent les partis pris comparatistes antérieurs, hierarchisants, fondés sur des conceptions d’inégalité des races et d’anthropologie physique ; l’absurdité de la croyance à l’existence de correspondances entre des traits physiques et des traits mentaux est aisément démontrée [Franz Boas, 1940]. Au moins par la méthode, on est au seuil de ce qui s’appellera, plus tard, anthropologie culturelle ou relativisme culturel, avec, cette fois, un fondement et une portée plus épistémologiques. Il s’agit, au fond, déjà, de ce qui restera ensuite le projet commun aux perspectives anthropologiques et ethnologiques, ou ethnographiques, voire, plus tard, aux approches ethnométhodologiques [Alain Coulon, 1987], dans le sillage de l’école interactionniste de Chicago [Alain Coulon, 1991] : rendre compte, de façon descriptive et non plus normative, de la diversité et de l’unité, tout à la fois, du vivant humain regardé à travers ses formes sociales.

Il est alors à noter l’absence de l’idée de culture parmi les fondateurs de l’ethnologie française, du moins à ses débuts. La naissance d’une sociologie volontiers impérialiste, celle d’Emile Durkheim (1858-1917) va lui faire de l’ombre en privilégiant le concept de société. Avec une approche résolument unitaire, tout à fait compréhensible dans le contexte idéologique de l’époque (kulturet civilisation devenant des armes de propagande, sans compter la politique officielle assimilationniste à l’égard des populations d’immigrants) la sociologie française, dont l’ethnologie reste, quelques décennies durant, une branche annexe, retient le terme de civilisation plus universel et plus normatif en abandonnant à l’étranger le concept plus descriptif de culture. Il subsiste néanmoins dans la sociologie durkheimienne une sensibilité et une ouverture propres à un certain relativisme. La notion de « conscience collective » n’exclut pas quelques parentés avec la théorie de la culture d’Alfred Kroeber (« superorganisme ») ou avec les « patterns culturels » et « la personnalité de base » de Ralph Linton. Il n’en demeure pas moins que Durkheim, dans son combat contre le psychologisme, assigne à la société une priorité et une suprématie, par rapport à l’individu. En conséquence, les groupes, les communautés, l’intersubjectivité, n’auront pas, non plus, sa faveur.

De son côté, Lucien Levy-Bruhl (1857-1939), fondateur de la discipline ethnologique en France, hostile aux thèses de l’évolutionnisme unilinéaire comme à celle du progrès mental, s’intéressera à l’étude des cultures primitives et s’interrogera sur les différences de mentalités entre les peuples. Cette notion de mentalité n’est, non plus, très éloignée du sens ethnologique du terme culture. Mais elle ne s’implantera pas pour autant durablement dans le vocabulaire ethnologique de l’époque. Certains historiens (« Ecole des Annales »), lui feront, par ailleurs, un meilleur accueil. Lucien Lévy-Bruhl créera, en 1925, l’institut d’ethnologie de l’université de Paris. Il faudra, tout de même, attendre les années « trente », pour voir se développer une ethnologie de terrain avec des africanistes tels que Marcel Griaule ou Michel Leiris. Celle-ci prendra progressivement, alors, une certaine autonomie qui lui permettra, plus tard, de s’intéresser aux retombées de la période « triomphale » de l’anthropologie américaine et du relativisme culturel qui y était associé.

Les successeurs immédiats de Franz Boas, Alfred Kroeber (reprenant la trilogie évolutionniste d’Herbert Spencer entre « inorganique », « organique » et « superorganique ») et Clark Wissler s’attacheront à l’« histoire culturelle ». On leur devra les notions d’« aires », de « traits » et de « modèles » (patterns) culturels, au risque, parfois d’excès « diffusionnistes » ou « hyper-diffusionnistes ».

C’est, alors, un autre anthropologue anglais, Bronislav Malinowski (1844-1942) qui va réagir à ces excès en proposant un courant plus résolument fonctionnaliste. Ce dernier entend se fonder sur le présent, contre le passé et ses dérives diffusionnistes, contre le futur et ses anticipation évolutionnistes. Il se réclamera donc d’une perspective synchronique. Néanmoins, le changement ne peut être endogène. Il vient de l’extérieur, à la faveur des contacts interculturels. A partir d’un recensement, au demeurant controversé, des besoins, qu’il place au fondement d’une théorie scientifique de la culture (1944) il « s’oppose à tout tentative d’écrire l’histoire des cultures à tradition orale. » et « critique l’atomisation de la réalité culturelle à laquelle aboutissent certaines recherches du courant diffusionniste…/… Ce qui compte, ce n’est pas que tel ou tel trait soit présent, ici ou là, c’est qu’il remplisse, dans la totalité d’une culture donnée, telle fonction précise. Chaque culture formant un système dont les éléments sont interdépendants, il est exclu de les étudier séparément. » [Denis Cuche, 2001]. Sinon, on s’abîmerait dans une muséographie. Pour l’éthnologie et l’anthropologie françaises, jusque là quelque peu oblitérées par l’occupation allemande, sans préjudice des pseudos-théories nazies largement encombrées par l’anthropologie physique, ce sont les travaux de Malinowski qui permettront de renouer avec les courants américains. On lui doit la méthode de «  l’observation participante ».

L’école américaine « culture et personnalité » se distinguera justement par sa centration sur les liens entre les individus et leurs cultures. Il s’agit essentiellement de mieux comprendre comment les êtres humains incorporent et vivent leurs cultures. Même si elle conserve une certaine indépendance, la culture n’est pas conçue, par ces anthropologues, comme une « réalité en soi », extérieure aux individus. Elle apparaît plutôt comme un « style » commun marquant les comportements de ceux qui partagent une même appartenance. Là réside, peut être, ce qui fait l’unité d’une culture et la différencie des autres. Avec Edward Sapir (1884-1939) une théorie s’esquisse ainsi qui marquera le culturalisme, faisant largement place à la psychanalyse anthropologique tout en inversant la problématique freudienne initiale (la culture n’est pas une projection de la libido, c’est la libido qui se trouve bel et bien informée par la culture). Ruth Benedict (1887-1948 ; étude comparative contrastée sur des tribus indiennes Pueblo), étudiante, puis assistante de Boas, reprend la notion de pattern culturel et tente de fonder l’utilité d’un « arc » culturel incluant une gamme de possibilités dans les différents domaines concernés, mais chaque culture restant limitée à l’actualisation d’un segment de l’éventail ainsi constitué. Dans cette optique la culture devient quelque peu combinatoire. Son pattern est un schéma inconscient, véhiculé par les institutions (notamment éducatives) façonnant les comportements en harmonie avec les valeurs culturelles ainsi distinguées. Il convient donc d’appréhender la logique interne de ces configurations culturelles. Margaret Mead (1901-1978) s’intéresse à la façon dont chaque individu reçoit sa culture et l’intègre dans son développement personnel. A partir d’études de terrain menée en Océanie (Arapesh, Mundugomor et Chambuli), elle remet en question des préjugés, des parti-pris, enracinés dans des croyances biologiques quant aux soi disantes personnalités « féminines » ou « masculines », dans certains types de sociétés. Au moins autant, sinon plus, que les caractères biologiques (sexualité, entre autres) transmis par l’hérédité, les personnalités individuelles résultent des modèles culturels particuliers à une société donnée, à un groupe, à une communauté, qui déterminent notamment l’éducation des enfants (systèmes de rôles). Les anthropologue Ralph Linton (1893-1953 ; études de terrain à Madagascar et aux Iles Marquises) et Abram Kardiner (1891-1981), ce dernier de formation psychanalytique, se rattachent à la même école. La culture ne peut se comprendre et s’appréhender qu’au travers des hommes qui l’expriment. Mais, de ces individus, l’anthropologue ne retiendra que des traits communs, quasi épistémiques, des « types », abandonnant les aspects plus qualitatifs, plus incarnés, historiques et personnels, à la psychologie. Ralph Linton formulera donc l’hypothèse d’une « personnalité de base », type « normal » directement déterminé par la culture à laquelle appartiennent les individus. Le système d’éducation propre à telle ou telle société diffusera ce « type normal » de personnalité. La diversité des statuts devra aussi impérativement être prise en compte. Loin de n’être que le dépositaire passif de sa culture, l’individu réinterprétera celle-ci et se l’appropriera, en autant de tentatives originales, tout au long de son histoire. Pour Abram Kardiner la personnalité de base est une trame déjà psychologique sur laquelle les individus broderont leurs « variantes singulières » (institutions primaires). La réaction au niveau de la culture du groupe s’effectuera par un jeu de « projections » permettant d’élaborer des structures secondaires (systèmes de valeurs et de croyances) qui conduiront celle-ci à évoluer peu à peu.

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Il faudrait encore mentionner, dans les années « cinquante », les travaux, américains (H. G. Barnett, A. R. Beals, G. M. Foster, M. Herskovits, R. Linton, K. E. Reach, R Redfield, S. Tax…, après J. W. Powell, dès 1880) et français (Roger Bastide qui introduit en France ces recherches), portant sur l’acculturation (« processus complexe de contact culturel au travers desquels des sociétés ou des groupes sociaux assimilent ou se voient imposer des traits ou des ensembles de traits provenant d’autres sociétés » [Jean-François Baré in Pierre Bonte et Michel Isard, 1992]). La « créolisation » s’y rattache évidemment. Nous sommes, aussi, aux confins du métissage.

En dépit de la nuance péjorative qui l’affecte, comme des nombreuses critiques qu’il aura justement suscitées, le courant culturaliste américain (« théorie culturaliste de la personnalité ») a contribué à décloisonner les sciences sociales et humaines. Il se prolongera, ensuite, chez Eric Fromm et Karen Horney, deux autres psychanalystes, et au sein de l »école de Francfort avec le sociologue et philosophe Herbert Marcuse... De son côté, l’anthropologie sociale anglaise (E. E. Evans-Pritchard), qui se rapproche davantage de la sociologie, à partir de ses origines propres, et qui considère que l’étude des structures sociales est « la condition préalable à la mise en perspective des problèmes culturels dans leurs diverses dimensions linguistique technique, psychologique et historique » [E. Ortigues, in Dictionnaire de l’Anthropologie et de l’Ethnologie, 1991], se réclame aussi d’un culturalisme (pris cette fois dans un sens plus large). Grâce à l’introduction de nouveaux concepts, à partir d’une élaboration plus poussée des méthodes ethnographiques, ces chercheurs et ces penseurs ont malgré tout réussi à établir que le psychique et le culturel, voire, l’institutionnel, sont hétérogènes tout en participant d’une même réalité, à condition toutefois d’être convenablement articulés quant à l’entreprise d’intelligibilité. L’anthropologie a du ainsi s’ouvrir à d’autres disciplines frontalières en sortant de son isolement social. Une perspective plus authentiquement multiréférentielle, et finalement relativiste, a pu en résulter (alors que le parti-pris de départ était de considérer la culture en tant que totalité). La destruction, à tout le moins la sérieuse remise en question, des mythes universalistes ne s’est pas irrévocablement soldée, comme on pouvait le craindre, par l’émiettement des valeurs mais aboutit plutôt à une réhabilitation du pluriel et de l’altérité, de la particularité et de la singularité, dont les chances heuristiques ne sont pas non plus négligeables. Les hiérarchies naturalistes, fondées, jusque là, sur les concepts de race, d’ethnie, de supériorité biologique, n’en sont pas, de très loin, sorties tout à fait indemnes.

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Psychologie sociale et psychosociologie

Les courants les plus interactionnistes de l’anthropologie culturelle, d’Edward Sapir à Grégory Bateson et à l’anthropologie de la communication (école de Palo Alto) nous rapprocheront évidemment des perspectives plus explicitement psychosociales. Celles-ci, à l’échelle d’un déterminisme meso-social, tout comme leur démarche clinique, la psychosociologie (essentiellement française), sont effectivement concernées à travers leurs pratiques (intervention, consultation, formation, sensibilisation, changement, information, communication, moral, climat, type de  leadership…) et leurs théorisations, par les notions de culture(s), de sous-culture(s), et d’acculturation, que nous venons très cavalièrement d’évoquer, ici. C’est le jeu des interactions qui fait le « nous » du groupe ou de la communauté, si différent du « on » plus « collectif ». En ce sens elles constituent au sein des groupes un des lieux de la dynamique des échanges culturels. La plupart des traités de psychologie sociale, classiques de ces dernières décennies (D. Krech et R.S Crutchfield, ou O. Klineberg, ou R. Daval, F. Bourricaud, Y. Delamotte, R. Doron, PUF, ou W. J. H. Sprott, Payot), se référent explicitement à cette idée de culture qu’elle permettront en retour d’affiner et de complexifier, mieux que les démarches sociologiques classiques, à partir d’une approche plus clinique, donc plus intersubjective, du lien social. [Jacques Ardoino, « Les dialectiques du lien social », 2001, André Levy, 1997, Jacqueline Barus-Michel, 1987]

 

 

 

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Ruth Benedict,The chrysanthemum and the Sword: Patterns of Japanese Culture.

6 Mai 2015 , Rédigé par intelligentsia.tn Publié dans #anthropologie

The Chrysanthemum and the Sword: Patterns of Japanese Culture is an influential 1946 study of Japan by Americananthropologist Ruth Benedict. It was written at the invitation of the U.S. Office of War Information, in order to understand and predict the behavior of the Japanese in World War II by reference to a series of contradictions in traditional culture. The book was influential in shaping American ideas about Japanese culture during the occupation of Japan, and popularized the distinction between guilt cultures and shame cultures.[1]

Although it has received harsh criticism, the book has continued to be influential. Two anthropologists wrote in 1992 that there is "a sense in which all of us have been writing footnotes to [Chrysanthemum] since it appeared in 1946".[2] The Japanese, Benedict wrote, are

both aggressive and unaggressive, both militaristic and aesthetic, both insolent and polite, rigid and adaptable, submissive and resentful of being pushed around, loyal and treacherous, brave and timid, conservative and hospitable to new ways...[3]

The book also affected Japanese conceptions of themselves.[4] The book was translated into Japanese in 1948 and became a bestseller in the People's Republic of China when relations with Japan soured.[5]

Contents

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Research circumstances[edit]

See also: Empire of Japan

This book which resulted from Benedict's wartime research, like several other OWI wartime studies of Japan and Germany,[6] is an instance of "culture at a distance," that is, study of a culture through its literature, newspaper clippings, films and recordings, and extensive interviews with German-Americans or Japanese-Americans. These techniques were necessitated by anthropologists' inability to visit Nazi Germany or wartime Japan. As one later ethnographer pointed out, however, although "culture at a distance" had the "elaborate aura of a good academic fad, the method was not so different from what any good historian does: to make the most creative use possible of written documents."[7]These anthropologists were attempting to understand the cultural patterns that might be driving the aggression of once friendly nations, and hoped to find possible weaknesses or means of persuasion that had been missed.

Americans found themselves unable to comprehend matters in Japanese culture. For instance, Americans considered it quite natural for American prisoners of war to want their families to know they were alive, and to keep quiet when asked for information about troop movements, etc., while Japanese POWs, apparently, gave information freely and did not try to contact their families.

Criticism[edit]

C. Douglas Lummis has written: "After some time I realized that I would never be able to live in a decent relationship with the people of that country unless I could drive this book, and its politely arrogant world view, out of my head."[8]

Lummis, who went to the Vassar College archives to review Benedict’s notes, wrote that he found some of her more important points were developed from interviews with Robert Hashima, a Japanese-American native of the United States who was taken to Japan as a child, educated there, then returned to the U.S. before World War II began. According to Lummis, who interviewed Hashima, these circumstances helped introduce a certain bias into Benedict's research: "For him, coming to Japan for the first time as a teenager smack in the middle of the militaristic period and having no memory of the country before then, what he was taught in school was not 'an ideology', it was Japan itself." Lummis thinks Benedict relied too much on Hashima, who he said was deeply alienated by his experiences in Japan. "[I]t seems that he became a kind of touchstone, the authority against which she would test information from other sources."[8]

Reception in the United States[edit]

Between 1946 and 1971, the book sold only 28,000 hardback copies, and a paperback edition was not issued until 1967.[9] Benedict played a major role in grasping the place of the Emperor of Japan in Japanese popular culture, and formulating the recommendation to President Franklin D. Roosevelt that permitting continuation of the Emperor's reign had to be part of the eventual surrender offer.

Later reception in Japan[edit]

More than two million copies of the book have been sold in Japan since it first appeared in translation there.[8]

John W. Bennett and Michio Nagai, two scholars on Japan, pointed out in 1953, that the translated book "has appeared in Japan during a period of intense national self-examination — a period during which Japanese intellectuals and writers have been studying the sources and meaning of Japanese history and character, in one of their perennial attempts to determine the most desirable course of Japanese development."[10]

The Japanese social critic and philosopher Tamotsu Aoki said the translated book "helped invent a new tradition for postwar Japan". The book helped increase the momentum of a growing interest in "ethnic nationalism" in the country, shown in the publication of hundreds of ethnocentric nihonjinron (treatises on 'Japaneseness') published over the next four decades. Although Benedict was criticized for not discriminating among historical developments in the country in her study, "Japanese cultural critics were especially interested in her attempts to portray the whole or total structure ('zentai kōzō') of Japanese Culture", as Helen Hardacre put it.[10] C. Douglas Lummis has said the entire "nihonjinron" literature stems ultimately from Benedict's book.[8]

Her book began a discussion among Japanese scholars about "shame culture" vs. "guilt culture" which spread beyond academia, and the two terms are now established as ordinary expressions in that country.[8]

Soon after the translation was published, Japanese scholars, including Kazuko Tsurumi, Tetsuro Watsuji, and Kunio Yanagita criticized the book as inaccurate and having methodological errors. American scholar C. Douglas Lummis has written that criticisms of Benedict's book 'now very well known in Japanese scholarly circles' include that it represented the ideology of a class for that of the entire culture, 'a state of acute social dislocation for a normal condition, and an extraordinary moment in a nation's history as an unvarying norm of social behavior'.[8]

Japanese ambassador to Pakistan Sadaaki Numata said the book was a "must reading for many students of Japanese studies".[11]

According to Margaret Mead (the author's former student and a fellow anthropologist), other Japanese who have read this work found it on the whole accurate but somewhat "moralistic". Sections of the book were mentioned in Takeo Doi's book, The Anatomy of Dependence, though he is highly critical of her analysis of Japan and the West as respectively shame, and guilt, cultures.

In a 2002 symposium at The Library of Congress in the United States, Shinji Yamashita of the department of anthropology at the University of Tokyo, added that there has been so much change in post-World War II Japan that Benedict would not recognize the nation she described in 1946.[12]

Reception of the book in Taiwan and China[edit]

The first Chinese translation was made by Taiwanese anthropologist Huang Dao-Ling, and published in Taiwan in April 1974 by Taiwan Kui-Kuang Press.

The book became a bestseller in China in 2005, when relations with the Japanese government were strained. In that year alone, 70,000 copies of the book were sold in China.[5]

See also[edit]

· Bushidō

· Honne and tatemae

Notes[edit]

1. Jump up^ Ezra F. Vogel, Foreword, The Chrysanthemum and the Sword (Boston: Houghton Mifflin 1989)

2. Jump up^ [1] Plath, David W., and Robert J. Smith, "How 'American' Are Studies of Modern Japan Done in the United States", in Harumi Befu and Joseph Kreiner, eds., Otherness of Japan: Historical and Cultural Influences on Japanese Studies in Ten Countries, Munchen: The German Institute of Japanese Studies, as quoted in Ryang, Sonia, "Chrysanthemum's Strange Life: Ruth Benedict in Postwar Japan", accessed January 13, 2007

3. Jump up^ Ruth Benedict, The Chrysanthemum and the Sword, page 2, 1946

4. Jump up^ Kent, Pauline, "Japanese Perceptions of the Chrysanthemum and the Sword," Dialectical Anthropology 24.2 (1999): 181.

5. ^ Jump up to:a b Fujino, Akira, Tribune News Service, 'Book on Japanese culture proves a bestseller in China", The Advocate of Stamford, Connecticut, January 8, 2006

6. Jump up^ Robert Harry Lowie, The German People: A Social Portrait to 1914 (New York: Farrar & Rinehart, 1945); John F. Embree, The Japanese Nation: A Social Survey (New York: Farrar & Rinehart, 1945

7. Jump up^ Vogel, Foreword, p. x.

8. ^ Jump up to:a b c d e f [2] Lummis, C. Douglas, "Ruth Benedict's Obituary for Japanese Culture", article in Japan Focus an online academic, peer-reviewed journal of Japanese studies, accessed October 11, 2013

9. Jump up^ Johnson, Sheila (2014). "Letters: Unfair to Anthropologists". London Review of Books 36 (7). Retrieved 6 April 2014.

10. ^ Jump up to:a b [3] Hardacre, Helen, "The Postwar Development of Japanese Studies in the United States", (Brill: 1998), ISBN 90-04-08628-5 via Google Books; the Bennett-Nagai quote may be from John W. Bennett and Nagai Michio, "The Japanese critique of Benedict's The Chrysanthemum and the Sword," American Anthropologist 55 :401-411 [1953], mentioned at [4] Web page titled "Reading notes for Ruth Benedict's The Chrysanthemum and the Sword (1946)" at the Web site of William W. Kelly, Professor of Anthropology & Sumitomo Professor of Japanese Studies, Yale University; both Web sites accessed January 13, 2007

11. Jump up^ "Ambassador Numata's Speech at Flower Show 25 Nov 2000". 2006-01-11. Archived from the original on 2006-01-11. Retrieved 2011-11-24.

12. Jump up^ [5] Wolfskill, Mary, "Human Nature and the Power of Culture: Library Hosts Margaret Mead Symposium", article in Library of Congress Information Bulletin, January 2002, as accessed at the U.S. Library of Congress Web site, January 13, 2008

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